الخطاب
Volume 8, Numéro 16, Pages 97-112
2013-12-01

Langue De Sang : Langue D’amour

Auteurs : Benammar Khadidja .

Résumé

Les écrivains Maghrébins d’expression française de l’époque postcoloniale ont tous, à des degrés différents, éprouvés un malaise vis- à-vis du français. Il s’est instauré entre eux et leur langue d’écriture, un sentiment ambigu qui s’apparentait à un rapport de couple tant il était passionné. C’était une histoire d’amour et de haine où les «je t’aime, moi non plus» fusaient, où coexistaient l’attirance et le rejet, la violence et le désir. Ce sentiment paradoxal se traduisait dans l’écriture même de ces auteurs. Ils pratiquaient une sorte de vengeance sur le corps de la langue. Rien n’échappait à leur empreinte : la syntaxe, la linguistique, le mélange des genres… Tout était visité, voire «violenté». Ainsi Kateb Yacine exerçait un terrorisme de la langue, Khair Eddine s’adonnait à une guérilla linguistique. Ahmadou Kourouma n’hésitait pas à «casser du français», selon son expression favorite. Ces écrivains pratiquaient une écriture subversive. Ils tentaient d’infléchir la langue française pour restituer l’originalité de leur culture. Rappelons que cette écriture était née dans un contexte d’urgence : en même temps qu’elle était une contestation contre la domination coloniale, elle était l’affirmation d’une identité propre, par le retour sur soi face à l’Autre. D’autres auteurs, comme Senghor ont sublimé cette langue conquérante. Elle est une déesse à qui les grands hommages sont rendus sans complexe quand il affirme qu’elle «est la langue des dieux» ; D’autres écrivains et penseurs en ont fait «un butin de paix». Ghata Khoury s’est déclarée joyeusement «bigame» et Jamel Edinne Bencheikh a mené une vie d’extase en navigant dans le vaste territoire que ses deux langues lui offraient. Qu’en était-il d’Assia Djebar et de son rapport à sa langue d’écriture ? Comme tout écrivain contraint de recourir à la langue de l’Autre, elle éprouvait un certain déchirement mais contrairement à ses homologues masculins, elle n’exerçait pas de violence sur le corps de la langue. Faudrait-il comprendre que cet exercice de la violence demeurait l’apanage des hommes ? Et que sa qualité de femme la conduisait vers une écriture mesurée ? Il serait intéressant d’observer les rapports antagonistes que Djebar entretenait avec sa langue d’écriture. Comment d’un sentiment négatif vis à vis du français : la langue du colon, «une langue marâtre, sarcophage des miens» , elle est passée à «un français qui est mien» . En écrivant en français, Djebar négligeait-elle ses langues d’origine, l’arabe d’une part et le berbère d’autre part ? Ou tirait-elle profit de la koïnè issue du métissage linguistique en vigueur dans son pays ? Par quels procédés arrivait-elle à mettre en présence toutes ces langues ? Pourquoi avait-elle besoin de toutes ses langues pour promouvoir et imposer son Moi face à l’Autre. C’est sous le signe de la relation amoureuse et du rapport conjugal que nous appréhenderons cette étude. Notre exposé s’articulera autour de deux points : nous commencerons par clarifier la position de Djebar, romancière et essayiste, face à la langue française. Nous aborderons son déni d’être francophone, son consentement d’être franco graphie et la promotion de son «algéro phonie» dans sa production romanesque. Nous verrons également comment sa binarité linguistique, traversée par les langues apprises ou croisées dans son nomadisme, présidait à son hybridité culturelle. Dans le second point, nous nous consacrerons à l’étude du paradoxe de la langue française. Nous nous attacherons à démontrer comment d’un rapport «houleux» , elle est arrivée à construire une relation «charnelle» avec sa langue d’écriture. Cette volte-face s’est modulée à travers trois étapes décisives qui ont conduit au rapport pacifié avec la langue de l’Autre qui est devenue indispensable et irremplaçable. Ainsi, du «mariage forcé» ou de l’union non consentie, l’auteure s’est insurgée contre la langue imposée. Les griefs ont abouti au divorce de cette union» contre nature». La réflexion, l’effort intellectuel, les aléas de la vie et la politique monolinguiste qui consiste à occulter les langues vernaculaires et à débuter le passé historique de l’Algérie à l’avènement de l’islam ; ont réconcilié les deux «amants» et le conte de fée vit le jour !

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