Revue d'Architecture
Volume 1, Numéro 1, Pages 18-19
2021-10-01

Compte-rendu De L’ouvrage De Jean Dethier, Habiter La Terre. L’art De Bâtir En Terre Crue. Traditions, Modernité Et Avenir, (flammarion, 2019, 512 P.)

Auteurs : El Wakil Leila .

Résumé

Habillé d’une couverture ocre rouge et d’une tranche de même couleur, l’ouvrage, que nous livre Jean Dethier, Habiter la terre. L’art de bâtir en terre crue. Traditions, modernité et avenir, (Flammarion, 2019, 512 p.) se présente comme un monumental pavé de terre. Du même ocre est l’œuvre contemporaine reproduite sur la couverture, épitomè de l’avenir de l’architecture de terre, fruit de la collaboration de deux femmes, la Nigérienne Mariam Kamara (atelier Masomi) et l’Iranienne Yasaman Esmaili (studio Chahar). Réalisation emblématique et syncrétique, le centre culturel islamique de Dandaji (Niger) résulte en effet de la réhabilitation en bibliothèque d’une ancienne mosquée construite à l’initiative du maîtremaçon El Hadji Falké Barmou, lauréat du Prix Aga Khan en 1986, et de l’ajout d’une nouvelle mosquée, celle-là même figurant en couverture, mariant une ossature en béton armé à des murs et des coupoles de terre. Impliqué depuis la fin des années 1960’ dans la réhabilitation des architectures de terre au Maroc notamment, puis organisateur de la retentissante exposition du Centre George Pompidou à Paris [28 octobre 1981-1er février 1982], Des architectures de terre ou l’avenir d’une tradition millénaire, promoteur du projet du Domaine de la Terre à l’Ile d’Abeau, engagé dans la démocratisation de la culture architecturale, Jean Dethier achève, au bout de vingt ans de travail passionné, une somme consacrée à l’architecture de terre crue. Entouré des cofondateurs du CRAterre, Patrice Doat, Hubert Guillaud et Hugo Houben, « ses aimables complices », il signe ce bel ouvrage de grand format (24x31 cm.) richement illustré de quelques 800 images de qualité. Ainsi, ce livre d’art peut d’abord se feuilleter et se regarder, la succession des illustrations construisant un discours plastique et chromatique qui constitue un premier niveau de lecture à l’intention du grand public, qui est le public-cible de l’ouvrage. Cependant le pavé ocre a de plus ambitieuses visées, puisqu’il se veut un livre de référence de l’ère globale, rassemblant en ses 512 pages des ouvrages du monde entier réalisés en terre crue à travers les âges et jusqu’à nos jours. La formule de trente-cinq articles rédigés par 18 spécialistes, dont 9 du CRAterre, qui trouve là son Hall of Fame, s’organise en plusieurs chapitres où se rassemble l’abondante matière des patrimoines de terre crue toute catégorie confondue. Cet époustouflant panorama redit l’excellence et la justesse des réalisations traditionnelles et vernaculaires, en regard de la masse souvent irréfléchie et inappropriée du bâti surgi depuis l’ère industrielle. Les 5 chapitres du déroulé transhistorique constituent le cœur de l’ouvrage sous forme d’une grande fresque qui s’articule depuis les Témoignages archéologiques et les Témoignages historiques jusqu’aux Modernités alternatives et aux Créativités contemporaines, en passant par les Patrimoines vernaculaires. Relevant de la gageure, l’anthologie donne à comprendre l’importance et l’étendue des possibles de terre crue domaine dans l’exploration duquel Dethier et ses complices furent des pionniers en France, qui réussirent à s’imposer comme laboratoire d’excellence au niveau mondial. Elle a le grand mérite de rassembler un large éventail de réalisations, jusque-là éparses, mais Leïla EL-WAKIL (18-19) Vol 1 No 1 • 2021 • 19 connues notamment grâce à l’exposition fondatrice du MOMA sur l’architecture sans architectes de Bernard Rudofsky (1964) ou à l’Encyclopedia of vernacular architecture of the World de Paul Oliver (1997), ainsi que par les Prix Aga Khan d’architecture ou les inscriptions au Patrimoine mondial de l’Unesco. Dans chaque chapitre des articles spécialisés précèdent une série d’études de cas, abondamment illustrés et brièvement décrits. L’important chapitre relatif aux Logiques constructives incombe principalement au laboratoire CRAterre. La multiplicité des architectures de terre et des savoir-faire, du plus artisanal au plus High Tech, y est mise en évidence par Hubert Guillaud. Les apports des ingénieurs, Hugo Houben et Henri van Damme, précèdent le corpus d’œuvres en expliquant les propriétés physiques du matériau terre et les solutions actuelles fréquentes de stabilisation par des liants (3 à 10%) de différentes espèces. Sans réduire la construction de terre à une pénible question de pourcentage, comme lors des délibérations du jury de Terra Award 2016, ils soupèsent l’intérêt de la stabilisation en termes d’empreinte carbone et de frugalité du matériau. On aurait cependant aimé entendre un peu plus forte la voix des hérauts de la terre pure que sont notamment le céramiste Martin Rauch et l’architecte Anna Heringer, relégués à la fin de l’ouvrage, mais heureusement évoqués dans l’essai d’Ariane Wilson. Dans son pavé ocre Jean Dethier ne se satisfait toutefois pas de dresser un inventaire ; l’anthologie se double et s’explique par une posture militante qui s’exprime principalement dans les quatre textes de l’introduction, intitulée Plaidoyers pour la terre, ainsi que dans le chapitre 7, qui tient lieu de conclusion, sous le titre Perspectives d’avenir. L’auteur et ses acolytes, en qui on reconnaît l’inébranlable vaillance des âmes soixante-huitardes – il faut prendre cela comme un compliment !, martèlent les évidentes qualités des ouvrages de terre crue depuis la nuit des temps : récupération et gratuité du matériau, qui se prélève dans la fosse du chantier, économie d’énergie grise, évitement de transports, parcimonie des moyens, durabilité véritable. Une conviction s’impose : pour construire en terre crue il faut libérer l’architecture du carcan des normes … jusqu’à prôner la désobéissance civile. Sincères et engagés, les textes plaident tous en faveur de la résurrection du matériau ancestral. La réalité s’inscrit-elle pour autant dans le triomphe de cette technologie ou ne s’agit-il encore que d’une prophétie auto-réalisatrice ? Nombreux étaient ceux qui pensaient, il y a un demisiècle déjà, que le best-seller de l’architecte égyptien Hassan Fathy, Construire avec le peuple. Histoire d’un village d’Egypte. Nouveau Gourna (1970), allait changer le monde. Hier comme aujourd’hui on aimerait croire à une inversion de tendance au détriment de l’architecture industrialisée. Puisse ce puissant bloc ocre jeter un pavé dans la mare des cimentiers et autres firmes bétonnières qui dévastent toujours les littoraux pour s’approvisionner en sable ! Puis le bloc de terre crue stopper le bétonnage de l’écorce terrestre

Mots clés

L'art de bâtir, Terre crue, Réhabilitation, Référence de l'ère globale